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Approche du cancer en médecine chinoise

 

Le cancer est une maladie considérée comme grave, car souvent fatale, par toutes les médecines du globe.  Celles-ci n'ont toutefois pas toutes la même manière de l'appréhender.

 

La médecine occidentale est surtout dotée de moyens de lecture du corps humain, lui permettant de déceler rapidement les atteintes organiques. Mais elle ignore généralement les processus, souvent très longs, qui ont permis l'installation de ces lésions. Ce qui fait qu'elle n'a d'autre choix que de pousser au dépistage des tumeurs, et lorsque celles-ci se manifestent, à engager des traitements lourds (car une fois la maladie rendue au stade tumoral, l'évolution est souvent très rapide).

La médecine chinoise se concentre davantage sur le réglage des troubles fonctionnels qui sont la cause première des troubles organiques (le principe étant qu'un moteur bien réglé a moins de risques de "casse"). Sa vocation est donc plutôt préventive, car elle sait qu'une fois arrivée à un stade évolutif, la maladie a bien moins de chances de régresser.

En matière de cancérologie, le diagnostic traditionnel chinois ne permet pas de déceler directement la présence d'une tumeur, mais il permet par contre de déterminer l'anomalie de terrain qui permet à un processus tumoral de s'installer et de progresser.

 

La maladie

Lorsqu'un malade vient consulter - et la logique sera la même pour un cancer que pour une grippe, qui elle aussi peut être mortelle -, la perspective en médecine chinoise est la suivante :

            - ou bien la maladie est bénigne, et le traitement consistera, en renforçant ou en équilibrant le terrain, à aider le corps à repousser la maladie (en médecine occidentale, on s'attaque à la maladie elle-même, par exemple avec des antibiotiques. Mais on fragilise alors le terrain pour une autre maladie plus grave ensuite) ;

            - ou bien la virulence ou l'avancement de la maladie est telle que le terrain est déjà trop faible pour s'y opposer. Dans ce cas, on ne peut que soutenir le système de défense du corps, tout en y ajoutant des traitements "d'attaque" de la maladie elle-même. Mais l'on gardera à l'esprit que ces derniers types de traitements amoindrissent également le système de défense, déjà trop faible pour lutter contre la "simple" maladie.

 

A-t-on le choix du traitement ?

Le choix médical est donc très difficile entre un traitement de soutien, qui risque de s'avérer insuffisant par rapport à l'évolution du mal, et un traitement d'attaque, qui vise la maladie au détriment du malade (exemple typique : la tumeur principale est localement vaincue par la radiothérapie, la chimiothérapie ou la chirurgie, mais le malade, épuisé par le traitement, développe peu après des métastases brutalement généralisées). Ce que l'on peut malheureusement en déduire, c'est qu'à ce deuxième stade, et pour toutes les médecines, le pronostic est mauvais.

En Chine, on essaye généralement d'optimaliser les chances du malade en associant les deux types de traitements : médecine occidentale pour le traitement d'attaque, et médecine chinoise pour le traitement de soutien. En France, les malades n'ont guère le choix : les deux médecines ne travaillent pas -loin s'en faut- en concertation, et les "chimiothérapies préventives" de la médecine occidentale ne peuvent être raisonnablement qualifiée de traitement de terrain.

Par défaut, certains patients font eux-mêmes le choix d'une thérapie complémentaire ou alternative à la médecine officielle. Ce choix mérite le respect, d'une part parce que le malade est le seul propriétaire de sa maladie, et d'autre part parce que la confiance est un élément psychologique fondamental dans les processus de guérison. Il est néanmoins certain que de telles démarches, parfois plus suscitées par le désespoir que par la réflexion, peuvent faire le jeu de charlatans. Ceci dit, n’oublions pas que le charlatanisme existe dans toutes les médecines. Les nombreux scandales médicaux de ces dernières décennies sont là pour nous rappeler que l'exploitation de la misère humaine sur l'autel des intérêts financiers n'est pas l'apanage des médecines non conventionnelles.

En fait toute médecine a ses limites, et chacune est en droit de douter des solutions offertes par d'autres méthodes. Mais à notre sens, en matière de maladies graves, la capacité d'accompagnement du malade, avec lui et contre sa maladie, sont des éléments déterminants dans le résultat thérapeutique, et ce quelque soit le type de médecine mise en oeuvre. Ce qui nous amène au problème de la communication.

 

Doit-on avoir peur du mot « cancer » ?

L'information concernant la maladie, à l'égard du malade comme de ses proches, est un élément à part entière de la thérapeutique, trop souvent négligé.

Soucieuse de prévention à sa manière, la médecine occidentale alerte régulièrement la population sur les risques du cancer, espérant jouer sur l'inquiétude pour pousser au dépistage. Mais qui peut croire que l'inquiétude rend sage ? Nous noterons par exemple que l'inscription "risque de cancer" figurant en gros sur tous les paquets de cigarettes n'a pas eu jusqu’ici l'effet dissuasif escompté sur les fumeurs, si ce n’est de les pousser à s'inquiéter tout en fumant, ce qui rend sans doute la cigarette deux fois plus dangereuse ! Lorsque l'on constate à quel point la crainte de savoir est lourde à propos du cancer, n'y a-t-il pas quelque chose d’insidieux à annoncer au malade : « rassurez-vous, nous allons faire tous les examens nécessaires pour nous assurer qu’il n’y a rien de grave » ? Des études récentes attestent que de telles démarches, anxiogènes malgré elles, vont parfois dans le sens de la maladie : des statistiques ont ainsi révélé qu'à risque initial égal, on avait pu observer davantage de développements de cancers du sein chez les femmes qui effectuaient des dépistages fréquents, que chez celles qui n'en faisaient pas.

 

Doit-on tout dire à son patient ?

Lorsque, par malheur, la crainte/prédiction se réalise et qu'un cancer est effectivement diagnostiqué, il arrive que la médecine fasse le choix paradoxal inverse, à savoir de dissimuler sa maladie au patient, tout en annonçant sa "condamnation" à ses proches. En dehors de quelques situations bien particulières, une telle attitude nous semble généralement néfaste, car elle fait plonger à son tour l'entourage dans le désespoir, le persuadant à l'avance que toute lutte est inutile. Cela peut aussi avoir des conséquences somatiques pour certains : le nombre de personnes développant à leur tour un problème suite à la maladie ou la disparition d'un proche, devrait faire réfléchir les médecins quant à la manière dont ils doivent communiquer. Quant au malade, même s'il semble faire bonne figure, il perçoit par communication non verbale tout l'angoisse de l'entourage, et c'est lui-même qui va devoir perdre son énergie à rassurer les autres au lieu de se concentrer sur sa maladie et puiser auprès des proches une énergie de guérison.

La médecine chinoise préconise pour sa part de ne jamais inquiéter inutilement les patients, ni même les proches. Par contre, lorsqu'elle détecte avec certitude quelque chose de grave, elle se fait un devoir de l'annoncer au patient, et sans dramatisation excessive, de le mettre face à la réalité de manière à obtenir une coopération et une volonté de lutte de sa part. En effet, le cancer est semblable à une guerre que le patient doit mener contre sa maladie. Il ne faut jamais considérer une guerre comme perdue d'avance, mais envisager au contraire qu'un retournement est toujours possible, et justifie qu'on lutte jusqu'au bout. Une lutte où toutes les médecines, sans distinction, se doivent alors de collaborer dans l’intérêt du patient. L'attitude psychologique et les dispositions face à la maladie sont alors bien meilleures, et même en cas d'échec, le malade n'aura pas le regret d'être resté passif tandis que sa maladie évoluait.  Combien même l'issue devrait s'avérer fatale, le "passage" de vie à mort se fera ainsi dans des conditions psychologiques infiniment moins dramatiques, pour le patient comme pour les proches, ce qui d’un point de vue non plus médical, mais religieux ou spirituel, est très important.

 

La maladie est-elle une injustice ?

La nature humaine est de rechercher le plaisir et de refuser la souffrance, mais elle oublie trop souvent que ce sont là les deux côtés d'une même chose. Nous vivons généralement avec l'idée que la vie nous appartient, alors que c'est nous qui lui appartenons. Ainsi, nous construisons tous notre existence en essayant d'oublier son caractère fragile et éphémère... jusqu'à ce que la maladie et la vieillesse nous rattrapent.

Nous n'aimons pas la maladie, car elle mène à la mort. Cependant la mort n'est pas une maladie. C'est l'autre côté de la naissance, et tous les êtres en font tôt ou tard l'expérience. Une expression chinoise désigne les êtres vivants comme "ceux qui sont de passage", et les morts comme "ceux qui sont rentrés". Dans cette vision des choses, la médecine joue finalement un rôle bien modeste, loin de la toute-puissance qu'on voudrait lui prêter : elle aide à vivre, pendant un certain temps. Lorsqu'un moteur humain a fait trop de kilomètres, subi une avarie grave, ou tourné trop longtemps sans révision,  il n'est pas dans notre pouvoir de changer le modèle. Mais nous sommes ainsi faits qu'en cas de panne, nous préférons nous en remettre au garagiste qu'incriminer notre propre conduite. Nous sommes ainsi faits que, même si la mort de milliers de personnes au journal télévisé peut nous laisser indifférents, la maladie ou la perte d'un proche nous apparaîtra toujours profondément injuste. Et ce refus d'injustice se traduit par la recherche d'un coupable.

Tout médecin conscient de ses responsabilités doit donc s'attendre à ce que ses choix puissent lui être reprochés, par le patient lui-même, ou -plus souvent- par ses proches. De "l'acharnement thérapeutique" à la "non assistance à personne en danger", la jugulation de ce sentiment d'injustice passera souvent par la supposition que "si un autre choix avait été fait, les choses se seraient mieux passées." Au-delà d'une éventuelle réaction d'amour propre, le médecin devra surtout songer à la détresse contenue dans ces remarques, et inciter les proches à veiller sur leur propre santé, afin qu'ils ne deviennent pas à leur tour des victimes involontaires.

 

Que conclure ?

Que le cancer est naturellement une maladie angoissante pour tous.

Que face à cette angoisse, les réactions des médecins, celles des patients ou des proches, peuvent être différentes.

Que ces différences s'expliquent et qu'elles sont respectables, car elles sont motivées par une même volonté d'aide.

Et qu'enfin chacun n'est vraiment responsable que de sa propre vie, et doit commencer par veiller sur lui-même, y compris s'il veut continuer d'aider les autres.

Nous espérons que, pour les thérapeutes comme pour les proches de patients gravement malades, ces quelques éléments seront une source utile de réflexion.