Où serons-nous tous dans cent ans ?
Aider une âme à rejoindre l’autre rive plutôt que de la laisser se noyer dans la vie : si le choix est difficile, voire impossible pour une médecine qui ne s’intéresse qu’au corps humain, il est évident pour d’autres médecines, qui n’oublient pas l’Etre que ce corps abrite.
De l’accompagnement aux mourants à l’euthanasie, en passant par ces âmes perdues de la canicule de l’été 2003 que personne n’est venu veiller, la mort fait actuellement débat. Sujet délicat sinon tabou, que la proximité de l’Halloween (version moderne de Samain, rite celte des morts) m’autorise à briser, le temps de rappeler quelques évidences, partagées par toutes les grandes traditions.
La mort n’est pas une maladie. Elle est le retour sur l’autre rive du fleuve de la vie. Tous les êtres en font tôt ou tard l’expérience. L’expérience d’un processus inverse, d’une certaine manière, à celui de la gestation et de la naissance. La vie est un processus d’agrégation ; la mort, un processus de désagrégation. Et le rôle du médecin est de faire en sorte que ce passage, cette étape essentielle de la vie, se passe aussi bien, sinon mieux que celle de la naissance.
Une expression chinoise désigne les vivants comme « ceux qui sont de passage », et les morts, « ceux qui sont rentrés ». La vie ne nous est pas donnée, mais transmise, pour un temps, par le souffle du Ciel et le sang de la Terre. Nous ne sommes de fait que des passants, des visiteurs, des invités. Le Dr Leung Kok Yuen disait : « La vie, c’est des vacances. Vous arrivez, et tout est déjà en place. Vous n’avez qu’à profiter du séjour. » Et j’ajouterai, car c’est devenu critique, « sans laisser de traces, en laissant l’endroit aussi propre que vous auriez souhaité le trouver en arrivant »…
Après notre passage sous cette forme d’existence, nous devons effectuer notre retour au sein du Grand-Père Céleste et de la Grand-Mère Terre de la façon la plus douce et la plus sage. Toute mort est une autre naissance. Ne l’oublions jamais : notre corps a quinze milliards d’années. La Grande Fonderie ne commet aucun crime[1].
C’est dans cette perspective, commune aux médecins du corps et de l’âme, que devrait être abordé le débat sur l’euthanasie. Commencer par cesser de considérer tout décès comme un échec thérapeutique. Comprendre et accepter le fait que la mort est un processus naturel, que l’accompagner comme on accompagne la naissance, qu’accompagner la vieillesse comme on accompagne l’enfance, fait partie de notre devoir de passeurs d’humanité.
[1] Tchouang Tseu